Page 85 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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Conservi: Petron. 70,10-71,1 et Sen. epist. 47 73
d’une idée quasi acquise à l’époque de Sénèque pour aboutir au concept le plus paradoxal et
le plus dérangeant.
Homines d’abord: au § 10 de la lettre, le terme sera justifié, dans un contexte stoïcien,
par le thème de l’origine commune de l’âme humaine. Toutes les âmes (ou du moins, même
si cette précision technique est absente ici, leur partie rationnelle, leur hegemonikón)
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émanent semblablement de la substance divine. Ce dogme est fondamental dans
l’anthropologie du Portique. L’idée de la co-humanité des esclaves ne surprend donc
pas le lecteur stoïcien de Sénèque, mais elle n’étonne pas non plus le lecteur
simplement cultivé. C’est en effet une idée ancienne, qui se rencontre bien avant le
stoïcisme et qui à l’époque de Néron est devenue un bien commun de la morale. Richter
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a montré comment elle s’enracinait dans la philosophie grecque présocratique et
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s’énonçait dans le théâtre grec classique et hellénistique, tant tragique que comique.
Dans le De clementia, Sénèque atteste que l’opinion publique condamne les maîtres qui
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oublient que le droit naturel inscrit les esclaves au sein de l’humanité.
Contubernales est délibérément ambigu. L’idée que les esclaves vivent en commun
avec leurs maîtres s’inscrit dans la continuité de homines. Le contubernium qui fait se
côtoyer maîtres et esclaves n’est qu’un cas particulier de celui qui englobe l’humanité
toute entière: tous les hommes, nés de la même façon, vivent sous le même ciel, respirent
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le même air et partagent la même condition mortelle. Mais contubernales appliqué aux
esclaves est aussi un rappel de la réalité concrète, dans laquelle la familia servile vit sous
le même toit que le maître.
Humiles amici sera à son tour développé au § 16 de la lettre: les esclaves peuvent
être admis dans l’amicitia de leur maître, en fonction de critères moraux. Car il n’est pas
question, pour un maître stoïcien, d’accepter tous ses esclaves dans sa familiarité, de les
inviter indistinctement à sa table et de prétendre en faire des amis. Au contraire, le maître
distinguera entre eux, mais la distinction ne prendra en compte que la qualité morale,
étant entendu que les boni mores sont accessibles aux esclaves comme ils le sont aux
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hommes libres. Les préceptes énoncés ici par Sénèque n’ont rien de spécifique, ce sont
ceux qui au sein de la morale stoïcienne régissent l’amitié en général: le choix des amis
relève d’une décision intellectuelle, non affective, et il repose sur la qualité morale de
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l’ami. S’agissant de l’amitié, et parce que l’amitié relève de l’éthique, maître et esclaves
sont sur un pied d’égalité. Mais c’est une égalité qui se situe au plan des principes et ne
met pas en question la dissymétrie des situations concrètes. Car, dans l’expression
45 Sen. epist. 47,10 vis tu cogitare istum quem servum tuum vocas ex isdem seminibus ortum? Même idée ben.
3,28,2 unus omnium parens mundus est; sive per splendidos sive per sordidos gradus ad hunc prima cuiusque
origo perducitur; epist. 44,1 omnes, si ad originem primam revocantur, a dis sunt.
46 Richter (1958, p. 206) montre ce que la représentation de l’esclave comme être humain, et non chose
possédée, doit aux sophistes et à leur opposition entre loi et droit naturel.
47 Richter (1958, pp. 208-209).
48 Sen. clem. 1,18,1-2 servis imperare moderate laus est… Cum in servum omnia liceant, est aliquid quod in
homine licere commune ius animantium vetet.
49 Sen. epist. 47,10 vis tu cogitare istum quem servum tuum vocas… eodem frui caelo, aeque spirare, aeque
vivere, aeque mori.
50 Sen. epist. 47,15 non ministeriis illos (scil. servos) aestimabo, sed moribus. Sibi quisque dat mores,
ministeria casus adsignat.
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Sen. epist. 3,3; ben. 6,34,5; tranq. 7.