Page 88 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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76 Mireille Armisen-Marchetti

de l’individu, laquelle est d’ordre strictement spirituel. Il s’ensuit que la morale n’exige
pas la remise en cause de l’esclavage. Ce qui importe en revanche, c’est de bien prendre
conscience que la hiérarchie maître/esclave n’est pas une valeur en soi, et c’est,
concrètement, de mettre en oeuvre les vertus d’humanitas et de clementia, de façon à éviter
les souffrances excessives qui pourraient résulter de ces rapports de pouvoir. Chez Sénèque,
l’esclave reste dans son rôle d’esclave, le maître dans son rôle de maître, le conservitium se
situant au plan strictement moral.
C’est une tout autre représentation de l’esclavage que nous offre Pétrone, une
représentation dans laquelle, bien loin de la hiérarchie tempérée d’humanisme de
Sénèque, maître et esclaves se côtoient et n’existent que les uns par les autres. Cependant
deux précisions s’imposent d’entrée. Tout d’abord, au sein du roman de Pétrone, nous ne
considèrerons que la Cena Trimalchionis. Certes, des personnages d’esclaves
apparaissent aussi dans les autres parties du roman, mais c’est de façon fugace, sans
cohérence, et ils sont dépeints de façon individuelle, et non au sein de la familia à
laquelle ils appartiennent. S’agissant de Giton, l’objection est inverse: Giton est l’un des
personnages principaux, il est présent dans l’ensemble du roman, mais la passion que
ressentent pour le jeune homme les deux héros, Encolpe et Ascylte, brouille la situation
de subordination servile et la rend peu significative. En revanche, dans la Cena, s’offre à
nos yeux le tableau d’une maisonnée urbaine en pleine activité, et les relations entre le
dominus et ses esclaves sont un leitmotiv de l’épisode. La différence cependant avec ce
que nous pouvons trouver chez Sénèque, c’est que le statut des esclaves selon Trimalcion
n’est pas théorisé, exception faite de la phrase ‘sénéquienne’ du chapitre 71,1 dont est
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partie cette étude; ce statut se dégage non de la proclamation maladroite et affectée de
Trimalcion, mais des notations concrètes qui s’accumulent au fil du repas et de la
narration. Sénèque présente une réflexion, théorique et pratique, sur les esclaves; chez
Pétrone en revanche, pas ou très peu de réflexion, mais un tableau en acte révélant des
relations de fait.
La présence des esclaves dans la Cena est fondamentale, tant pour permettre le
déroulement de la réception que pour la construction du principal personnage,
Trimalcion, le maître de maison. Il est significatif que Trimalcion soit d’emblée présenté
dans son rôle de dominus. Lors de sa toute première apparition, aux thermes, vu par les
yeux d’Encolpe, il se détache au sein de sa domesticité, «vieillard chauve, vêtu d’une
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tunique aurore, et qui jouait à la balle parmi de jeunes esclaves aux longs cheveux».
Outre ces esclaves partenaires de jeu apparaissent aussi les deux eunuques, dont l’un est
préposé au pot de chambre, l’autre au comptage des balles, puis, à l’intérieur des thermes,
les trois iatraliptae qui gaspillent le précieux Falerne de Trimalcion, et enfin, dans le
cortège qui ramène Trimalcion chez lui, les cursores ornés de phalères, le delicatus de
Trimalcion et les joueurs de flûte. Il est très significatif que dans cette première scène
Trimalcion soit finalement peu décrit en lui-même: sont signalés son âge, sa calvitie, son
vêtement, mais son personnage, avec ses goûts et ses prétentions, se déduit indirectement

66 Cfr. note 1.
67 Petron. sat. 27,1 (videmus) senem calvum, tunica vestitum russea, inter pueros capillatos ludentem pila.
Nous empruntons les traductions de Pétrone, légèrement modifiées parfois, à l’édition d’A. Ernout, Pétrone,
Le Satiricon, texte établi et traduit par A. Ernout, Paris, Les Belles Lettres, 1923.


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