Page 81 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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Conservi: Petron. 70,10-71,1 et Sen. epist. 47 69
Pétrone, et enfin le motif du malus fatus, qui correspond chez Sénèque à celui de la
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fortuna. Pour notre part nous souscrivons pleinement à ces observations, et nous
faisons remarquer aussi la malice avec laquelle est retravaillé le matériau littéraire
emprunté à Sénèque, de façon à lui conférer une couleur stylistique typiquement
‘trimalcionienne’. Un double fait de langue, d’abord, donne une tonalité populaire à la
solennelle déclaration de Trimalcion: ce sont les masculins lactem et malus fatus, au
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lieu des neutres correspondants. Notons aussi la gaucherie de l’expression servi…
aeque unum lactem biberunt, qui courrait le risque de l’obscurité si le contexte n’était
suffisamment éclairant. C’est que Trimalcion a de la difficulté à exprimer clairement
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une argumentation abstraite, du fait de son inculture, certes, mais sans doute aussi
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parce qu’il commence à être sérieusement éméché. Mais les maladresses de langage
de l’affranchi n’obscurcissent pas l’évidence, et nous partageons pleinement la position
de M. A. Cervellera: les convergences formelles entre le discours de Trimalcion et la lettre
de Sénèque sont trop nettes pour être le fait du hasard ou même pour relever simplement
d’un conformisme idéologique ambiant.
Est-ce à dire que Trimalcion est un lecteur de Sénèque? «Sembra ch’egli» (i.e.
Trimalcion) «abbia letto l’epistola di Seneca cinque minuti prima», remarque avec
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humour E. Castorina. Et pourtant, il n’est guère vraisemblable que Trimalcion ait
jamais lu Sénèque. C’est qu’il tient les philosophes en mépris, excluant leur profession
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de celles qu’il admire. Son épitaphe, qu’il a rédigée lui-même et dont il donne lecture
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à ses invités, est catégorique. Parmi les mérites qu’il s’y attribue figurent sa réussite
sociale (le sévirat), morale (pius, fortis, fidelis [fuit]) et financière (sestertium reliquit
trecenties), mais aussi le fait que «il n’a jamais suivi les leçons d’un philosophe» (nec
umquam philosophum audivit). Trimalcion s’insère ainsi dans une tradition romaine de
méfiance et de mépris à l’égard d’une discipline considérée à la fois comme exotique et
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excessivement subtile, et en tout cas inutile aux hommes d’action. Remarquons par
ailleurs que la mention de l’épitaphe et donc de l’inculture philosophique de Trimalcion
suit de près, au sein de la diégèse romanesque, la proclamation par le même Trimalcion
de l’humanité des esclaves, comme si Pétrone avait pris soin de bien faire comprendre à
ses lecteurs que cette proclamation ne devait pas être mise au compte d’un savoir
éthique véritable. La seule culture que Trimalcion revendique est la philologia, la
culture littéraire, à laquelle il a été initié sur la volonté de son maître et qui a fait de
10 Thème présent aussi dans l’epist. 44 de Sénèque, qui anticipe et prépare l’epist. 47: tous les hommes ont une
même ascendance divine, et les différentes positions dans la hiérarchie sociale ne sont qu’affaire de fortuna.
11 Perrochat (1939, ad loc.): la Cena offre de nombreux exemples de ce recul du neutre, caractéristique de la
langue vulgaire.
12 Cfr. Marmorale (1947, p. 152, note 1): Trimalcion contamine deux expressions, aeque ac nos lactem biberunt
et unum eundemque lactem nos et illi bibimus.
13 Petron. sat. 52,8 Trimalchio… ebrio proximus.
14 Castorina (1970, p. 45). Amat (1992), qui ne fait pas de différence suffisante entre Pétrone et son personnage,
considère que Trimalchion pourrait bien être un lecteur de Sénèque.
15 Petron. sat. 56,7.
16 Petron. sat. 71,12 pius, fortis, fidelis, ex parvo crescit, sestertium reliquit trecenties, nec unquam philosophum
audivit.
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Armisen-Marchetti (2004, p. 203).