Page 84 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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haut chanter lui aussi des airs de théâtre et qui s’intéresse aux jeux du cirque;
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d’ailleurs la conversation du cuisinier le rend euphorique. Mais est-ce un progrès pour
l’esclave que de se mettre au niveau de Trimalcion? Certes, le cuisinier passe de ses
préoccupations serviles – faire une oie à partir de viande de porc – à l’otium de l’homme
libre, mais c’est un otium aux intérêts bien éloignés de l’honestum philosophique. Il nous
semble indubitable qu’il y certes là, de la part de Pétrone, une parodie de la leçon de
Sénèque, mais une parodie critique. Ce que suggère le romancier, c’est que les préceptes
du philosophe, qu’il fait incarner de façon littérale par Trimalcion, peuvent ne conduire
qu’à un désordre mal maîtrisé et qui n’élève nullement la qualité culturelle et morale des
esclaves. Le côtoiement entre maître et esclaves, bien loin de mener à une amitié
philosophique, ne suscite qu’une complicité vulgaire; vulgarité qui est d’abord le fait du
maître et sur laquelle les esclaves s’alignent, tant par imitation que par inclination
spontanée.
Mais ne peut-on, dans la mise en parallèle des textes de Pétrone et de Sénèque, aller
plus loin que la simple constation de la parodie? Il nous semble que si. Les deux écrivains
offrent deux représentations bien différentes des relations entre maîtres et esclaves, mais
la plus libérale, sur le plan concret, n’est peut-être pas celle que l’on pourrait croire. C’est
ce que nous allons essayer de montrer maintenant en élargissant notre étude, et en
considérant, chez Sénèque, divers textes où le philosophe théorise l’esclavage, et chez
Pétrone, l’ensemble de la Cena.
Les positions de Sénèque vis-à-vis de l’esclavage ont déjà fait l’objet de nombreuses
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études, et nous n’en rappellerons ici que les traits utiles à notre propos. La bonne
attitude à l’égard des esclaves, c’est-à-dire le fait de vivre avec eux dans la proximité,
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familiariter, est d’entrée rapportée dans la Lettre 47 à la prudentia et à l’eruditio. La
prudentia, traduction du grec ǠǛǦǗǑǝǓǜ, désigne selon les stoïciens la sagesse pratique,
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origine des préceptes régissant la façon de se conduire; et la sagesse étant de l’ordre
de la science, eruditio désigne ici l’apprentissage du savoir qui y mène. La question du
traitement des esclaves est donc inscrite d’emblée par Sénèque dans l’éthique, ce que
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confirme aussi la fin de la lettre, avec l’expression boni mores. Mais revenons à
l’énumération par laquelle Sénèque définit le statut des esclaves: homines,
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contubernales, humiles amici, conservi. Elle procède de façon ascendante, partant
37 Petron. sat. 35,6 ipse etiam taeterrima voce de Laserpiciario mimo canticum extorsit.
38 Il les a évoqués au moment même où il a formulé son invitation à table: Petron. sat. 70,10 Trimalchio:
“Permitto, inquit, Philargyre et Cario, etsi prasinianus es famosus, dic et Menophilae, contubernali tuae,
discumbat.”
39 Petron. sat. 71,1 diffusus hac contentione Trimalchio…
40 Cfr. Richter (1958), Griffin (1992, I 8: Seneca on Slavery, pp. 256-285; ibid., Appendix E: Slavery, pp.
458-461), Reekmans (1981), Cervellera (1977-1980), Bradley (2008). Chez Sénèque, les textes théoriques
princi-paux sont clem. 1,18; epist. 47; ben. 3,20-28.
41 Sen. epist. 47,1 libenter ex iis qui a te veniunt cognovi familiariter te cum servis tuis vivere: hoc prudentiam
tuam, hoc eruditionem decet.
42 SVF III 315 (= Cic. leg. 1,6,18) arbitrantur prudentiam esse legem, cuius ea vis sit, ut recte facere iubeat,
vetet delinquere.
43 Sen. epist. 47,21.
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Cfr. supra note 2.