Page 91 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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Conservi: Petron. 70,10-71,1 et Sen. epist. 47 79
pouvoir arbitraire et imprévisible, et assez peu sévère en fin de compte. Le modèle dont
on est tenté de le rapprocher n’est pas celui des maîtres durs évoqués par Sénèque, c’est
plutôt celui de la comédie: comme un dominus de théâtre, Trimalcion promet des coups
mais n’en donne pas lui-même, et il se montre accessible aux supplications des coupables
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et à l’intercession modératrice des autres personnages. La clémence dont fait preuve
Trimalcion est fantaisiste, voire égoïste (l’équilibriste grâcié et affranchi), sans point
commun avec la rigoureuse clementia éthique souhaitée par Sénèque, mais elle n’en
existe pas moins et se manifeste volontiers. C’est que l’affranchi Trimalcion, quoique très
soucieux de se démarquer de sa condition première, n’en reste pas moins psycholo-
giquement de plain pied avec sa familia. Que les esclaves soient des hommes est pour lui
une évidence, et une évidence vécue: il sait, pour avoir lui-même été esclave puis maître,
qu’il y a identité de nature et solution de continuité des uns aux autres.
Mais la réciproque est vraie, et les esclaves de Trimalcion sont représentés comme
proches de leur maître dont ils reproduisent avec application les comportements et les
goûts. Ainsi, alors qu’ils se dirigent vers la salle à manger, Encolpe et Ascylte escortés de
Giton tombent au milieu d’une affaire de justice domestique: le trésorier de la maison, le
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procurator ou dispensator se prépare à châtier son esclave personnel, son vicarius, qui
s’est laissé voler au bain les vêtements de son maître. La scène s’achèvera, sur
intercession de nos héros, par la grâce de l’esclave, accordée par le trésorier avec une
affectation grandiloquente de clémence. Si l’on se souvient que Trimalcion a été
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dispensator dans sa jeunesse servile, on ne peut que voir dans son propre dispensator
une réplique de lui-même: même vanité, même souci maladroit de paraître puissant (le
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trésorier parle de ses clientes) et d’étaler sa richesse. Un autre moment significatif est
précisément le texte dont est parti cette étude, le moment où Trimalcion convie les
esclaves à sa table. S’instaurent alors entre le maître et le cuisinier des rapports
égalitaires, issus d’une proximité d’intérêts (les courses de chevaux) et, de la part du
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cuisinier, d’une familiarité qui, loin de choquer Trimalcion, fait sa joie. Notons ici un
ultime détail, discret mais qui nous semble très significatif. Encolpe décrit le cuisinier
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«empestant la saumure et les condiments»; et plus haut Trimalcion aussi a parlé avec
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mépris de ces «très puants» esclaves (putidissimi servi). Or lui-même se voit appliquer
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par Encolpe, à deux reprises, ce même qualificatif de putidus, au sens métaphorique
certes; mais ce n’est pas moins un symbole de la proximité de fait qui existe entre
Trimalcion et sa familia.
Et ce brouillage des conditions va se concrétiser, immédiatement après l’épisode de
l’invitation des esclaves à table et la proclamation par Trimalcion de leur humanité, par
88 Cfr. la description des châtiments subis par les esclaves de comédie ap. Dumont (1987, pp. 326-327). Les
scènes d’intercession sont caractéristiques de la comédie, comme à la fin de l’Epidicus ou de la Mostellaria.
89 Petron. sat. 30,7-11: les deux termes sont utilisés indifféremment dans l’épisode.
90 Petron. sat. 29,4.
91 Les vêtements, selon le trésorier, lui ont été offerts par un cliens et sont en pourpre de Tyr; mais, selon
l’esclave, ils valent à peine dix sesterces.
92 Petron. sat. 71,1 (le cuisinier engage Trimalcion à parier avec lui sur les courses du cirque) diffusus hac
contentione Trimalchio…
93 Petron. sat. 70,10 (cocum) muria condimentisque fetentem.
94 Petron. sat. 34,5.
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Petron. sat. 54,1 non propter hominem tam putidum; 73,2 putidissimam (Trimalchionis) iactationem.