Page 92 - Fabio Gasti (a cura di), Seneca e la letteratura greca e latina. Per i settant’anni di Giancarlo Mazzoli, Pavia, Pavia University Press, 2013
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80 Mireille Armisen-Marchetti

l’annonce de l’affranchissement de toute la maisonnée: «bientôt ils boiront l’eau de la
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liberté. Bref, je les affranchis tous dans mon testament». Certes, Trimalcion reconnaît
sans difficulté que sa générosité n’est pas désintéressée: «Et si je publie mes dernières
volontés, c’est pour que dès maintenant ma maisonnée me chérisse comme si j’étais
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mort». Reste que Trimalcion accomplit le geste que Sénèque n’envisage pas. Lui,
l’affranchi qui connaît l’état servile par expérience, ne peut y voir un indifférent. Pas plus
que Sénèque, il ne conteste l’ordre social, et il se réjouit d’avoir de nombreux esclaves
pour exercer sur eux son autorité fantaisiste. Mais il sait aussi que tout esclave rêve
d’échapper à sa condition comme il l’a fait lui-même, et lorsqu’il décide de manifester sa
bonté, il ne se place pas au plan spirituel des valeurs éthiques, mais agit de façon
prosaïque et concrète.

La Lettre 47 de Sénèque et la Cena Trimalchionis de Pétrone, malgré le point de contact
entre ces deux textes que constituent le thème de l’invitation des esclaves à table et la
proclamation de leur humanité, offrent des représentations très différentes des relations
entre maître et esclaves. Différentes d’abord par la nature même des deux oeuvres: la
lettre de Sénèque est un texte parénétique où la potestas du dominus est analysée d’un
point de vue éthique, donnant lieu à des praecepta moraux. Pétrone en revanche, malgré
la formule solennelle qu’il prête à Trimalcion et dans laquelle il joue certainement à
parodier Sénèque, ne se place pas sur le plan des principes mais construit une fiction
romanesque, dans laquelle on se gardera bien de voir un document historique. Mais pour
autant, ne donne-t-il pas un commentaire indirect de la leçon du philosophe? Sénèque
accepte l’idée de structures sociales hiérarchisées, qui, bien que n’étant que le fait du
hasard – naître maître ou esclave relève de la Fortune et n’a rien à voir avec la personne
ou le mérite de chacun –, doivent être acceptées de bon gré, comme on accepte les divers
indifférents dans lesquels s’inscrit la vie extérieure. Seules comptent les valeurs
intérieures, c’est-à-dire les valeurs morales, auxquelles l’esclave a accès, par le libre jeu
de sa volonté, au même titre que le maître, et en fonction desquelles il est, ou non, estimé
et reçu dans la familiarité et l’amitié du dominus. Mais la hiérarchie sociale n’est pas
remise en question, toute tempérée qu’elle soit par l’humanitas et la clementia. Chez
Trimalcion en revanche l’esclave est soumis à l’arbitraire et à la fantaisie d’un maître
égoïste, pour lequel ne comptent que son plaisir et, plus encore, l’image de faste et de
raffinement qu’il s’efforce de donner de lui-même. Et cependant, dans la maison de
Trimalcion, il existe une proximité de fait entre maître et esclaves. Ils ont les mêmes
valeurs, se ressemblent et se comprennent. Les esclaves acteurs du banquet se font de
bonne grâce les complices de leur maître, et ils l’imitent dans la mesure de leurs moyens.
Réciproquement Trimalcion est de plain pied avec ses esclaves, capable de se réjouir de
la conversation d’un cuisinier. Et surtout, ce que Trimalcion sait bien pour l’avoir
éprouvé lui-même, c’est que l’aspiration suprême de l’esclave est la liberté, et il y
satisfait. Dans la maison de l’affranchi, les classes sociales ne sont pas étanches, et si les
esclaves n’accèdent pas à l’éthique, comme chez Sénèque, ils accèdent à l’espoir.


96 Petron. sat. 71,1 cito aquam liberam gustabunt. Ad summam, omnes illos in testamento meo manu mitto.
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Petron. sat. 71,3 et haec ideo omnia publico, ut familia mea iam nunc sic amet tamquam mortuum.

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